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Il trempa son pinceau dans l'encre spécialement préparée, et devant l'assistance ébahie, il dessina d'un seul trait l'oiseau promis au maître dix années auparavant.
- " C'est le plus beau cygne que j'ai vu de ma vie ", dit l'empereur ravi par tant de finesse et de splendeur. " Je te félicite et te remercie. Ta femme et tes enfants pourront vivre riches jusqu'à la fin de leurs jours ; je leur offre, devant témoins, un palais, un lac, un bois et des champs. Mais toi, grand artiste, tu n'en jaugeras point car je te ferai couper la tête pour t'être moqué de moi ".
Le peintre se laissa enchaîner sans mot dire, devant sa famille en larmes, l'empereur et sa suite s'apprêtaient à repartir quand l'un de ses fils, prince de sang, lui cria d'une autre pièce où son insatiable curiosité l'avait attiré : "Père, venez voir, venez vite ! " L'empereur traversa la salle à manger et rejoignit son fils dans l'atelier de l'artiste.
Par terre, sur les tables, accrochés au mur, partout, des monceaux, des liasses de feuilles de papier de riz, avec des milliers, des millions de cygnes dessinés.
Le peintre consciencieux s'était exercé pendant dix années, jour et nuit, pour être capable de créer devant les yeux de son empereur une ouvre digne de lui.
Chaque fois que je vois Marcel jouer, je pense à cette histoire et aux longues années qu'il a dû consacrer au travail de son instrument et au perfectionnent de son art. Et cela pour nous offrir, comme ce peintre, uniquement le meilleur de lui-même. En jugeant hâtivement, comme l'empereur, nous pourrions croire que Marcel se moque de nous, lorsque l'on voit avec quelle aisance déconcertante il interprète les morceaux les plus compliqués. Ne soyons donc pas surpris quand nous entendons des oiseaux parfaits s'échapper de sa guitare. Pour faire du beau, il faut du temps. Marcel Dadi l'a pris. Et grâce à lui, notre temps quotidien est devenu musique. |